On dit souvent qu’il y a démotivation parce qu’il y a perte de confiance. Or il ne s’agit pas seulement d’une perte de confiance, mais bien d’une perte de croyance, c’est-à-dire de motifs. La démotivation est l’exténuation d’un modèle de la raison qui a été transformée en ratio, c’est-à-dire en calcul : en comptabilité. Les techniciens qui formulent des ratios sont les experts du contrôle de gestion, et ils mettent en œuvre une conception unilatérale de la raison comme ratio, qui, sans être équilibrée par d’autres motifs que le seul calcul de rentabilité, c’est-à-dire de performance, conduit à la destruction de la raison comme motif. La raison n’est pas le ratio. Le ratio est une compréhension calculatoire de la raison qui n’est pas fausse, mais qui est pauvre et insuffisante. La raison est la motivation : c’est ce qui met en mouvement. C’est ce qui émeut et c’est ce qui suppose une croyance dans un motif.
Bernard STIEGLER, Constituer l’Europe II, pp.66-67